Il y a quelques semaines, nous esquissions un bilan des années Chavez au Venezuela. La mort d'Hugo Chavez, les événements qui l'ont précédée et qui lui succèdent, apportent un éclairage nouveau sur la situation.
La dépendance au pétrole
Au centre de la politique "bolivarienne" se trouvent les missions destinées aux classes populaires, dans tous les domaines : éducation, santé, alimentation, allocations diverses. Si leur efficacité est contestée et leurs résultats contrastés, elles ont apporté un mieux-être matériel indéniable à la partie la plus modeste de la population (le taux de pauvreté est passé de 49% à 27% en 14 ans). Pour autant, cette politique basée sur l'assistanat et la distribution de la rente pétrolière n'ouvre aux plus modestes aucune perspective de sortie de ce qui est souvent considéré comme du clientélisme.
L'économie vénézuélienne est en effet sinistrée : hors du secteur pétrolier, le Venezuela ne produit pratiquement rien. L'instabilité juridique, les nationalisations éclairs, les expropriations, les sanctions contre les entreprises soupçonnées de pratiques déloyales à la révolution chaviste, ont découragé les investisseurs étrangers et désorganisé les entrepreneurs locaux. Le Venezuela importe l'essentiel de ce qu'il consomme, notamment dans le secteur alimentaire, et des pénueries sur les produits de base ne sont pas rares. Quelques indicateurs : 96% des recettes en devises du pays sont issues du secteur pétrolier (le pays est le 4e exportateur mondial et possèderait les plus importantes réserves de la planète) et la dette extérieure est passée, sur la période, de 28 à 130 milliards de dollar (Le Monde du 06/03/2013).
Le pétrole est également le principal instrument de la diplomatie du Venezuela qui le distribue à des conditions avantageuses à ses alliés régionaux (Cuba, Nicaragua, Haïti, République dominicaine, Jamaïque) selon les termes de l'accord Petrocaribe (paiement comptant de 5% à 50% de la facture et crédit à long terme et à bas taux sur le solde).
Violence et corruption
Le secteur pétrolier, entièrement nationalisé, gravite autour de la compagnie nationale Petroleos de Venezuela SA (PDVSA) : les bénéfices colossaux réalisés par cette entreprise sont directement transférés aux missions et échappent au contrôle du Parlement. Cette opacité contribue à alimenter une société largement corrompue. De même, le discours radicalement anti-américain d'Hugo Chavez, sa proximité avec tous les dirigeants les moins fréquentables de la planète (les frères Castro à Cuba, l'Iranien Ahmadinejad, le Syrien El Assad, le Biélorusse Loukachenko, etc.), sa violence verbale à l'égard de ses opposants internes et externes, l'arbitraire de sa gouvernance, ont contribué à diviser le pays en deux camps antagonistes : celui de ses amis et celui des "ennemis du Venezuela", des "fascistes", des "porcs" ou des "chiens".
L'inefficacité et la corruption de la police et du système judiciaire ont favorisé le développement des trafics et de la criminalité : le pays serait ainsi, selon l'Observatoire vénézuélien de la violence, au deuxième rang mondial pour le nombre d'homicides, après le Honduras, avec un taux de 73 pour 100 000 habitants en 2012.
Démocratie confisquée
La stratégie d'Hugo Chavez a été d'une part de s'attacher l'affection des classes populaires à travers les "missions" et d'autre part de saturer l'espace médiatique de sa présence. Les chaines de télévision publiques se sont multipliées (de 1 à 7 durant sa présidence) avec obligation de retransmettre sa mythique et interminable émission hebdomadaires Alo Presidente, et contrainte a été faite à l'ensemble des canaux de retransmettre ses allocutions, aussi soudaines que fréquentes. Les médias hostiles, de plus en plus rares, ont progressivement été muselés par la réglementation, les menaces, les sanctions. Sa présence, sa faconde, sa simplicité, son humour, en un mot son charisme ont fait le reste : pour une frange de la population, le président bolivarien est un héros que sa disparition transforme en demi-dieu.
La mobilisation de millions de Vénézuéliens, descendus dans la rue au moment de sa mort, est un phénomène relativement courant, chaque victoire électorale et de nombreuses autres célébrations étant le prétexte à d'immenses défilés. La compagnie PDVSA n'est pas seulement un robinet à dollars pour le régime. Elle est aussi le vivier du Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV) dont elle assure l'emploi de milliers de membres. En 2002, la compagnie produisait 3,1 millions de barils par jour avec 23 000 salariés. Après que... la moitié de ses effectifs aient été licenciés à la suite d'une grève anti-chaviste, elle en produit aujourd'hui 2,4 millions avec 120 000 salariés ! Des chiffres à l'avenant dans les principales administrations de l'Etat. Autant de troupes militantes faciles à mobiliser chaque fois que le besoin s'en fait sentir...
Le 14 avril, Maduro ou Capriles ?
Si toutes les institutions semblent verrouillées, la disparition du chef charismatique ouvre cependant une ère d'incertitudes. L'armée a montré sa solidarité avec le régime et la Cour constitutionnelle a validé le raisonnement sinueux qui a conduit Nicolas Maduro, le Vice-Président et héritier désigné par Chavez lui-même, à devenir Président-candidat jusqu'à l'élection du 14 avril. Les partisans sont mobilisés, les médias officiels assurent le service après-vente avec zèle... Et pourtant, une incertitude demeure : le leadership d'Hugo Chavez a été vivement contesté lors de l'élection présidentielle d'octobre 2012 où son opposant, le jeune et brillant Henrique Capriles Radonski, candidat unique de l'ensemble de l'opposition, a obtenu 44% des voix au second tour dans un contexte défavorable.
Capriles sera l'adversaire de Maduro qu'il accuse "d'utiliser le corps de Chavez pour faire campagne". Il dénonce les mises en scène qui, de la réélection d'un Chavez malade aux cérémonies d'obsèques en passant par le projet d'embaumement, ont été omniprésentes. On peut aussi penser que, le 14 avril, l'émotion de la disparition de Chavez sera quelque peu retombée, que les uns et les autres se rendront compte que Maduro n'est pas Chavez et que le pays aurait bien besoin d'un peu de respiration démocratique. Que Capriles n'est pas le "fasciste" décrit par Maduro, quand il ne le traite pas, avant de présenter des excuses, de "gros pédé". Qu'enfin son projet est de maintenir les missions dans les quartiers pauvres quand elles ont prouvé leur utilité, de lutter contre la délinquance et la criminalité, de relancer l'appareil productif, et de rassembler pour l'apaiser un pays qui en a bien besoin.
Consulter le dossier du Monde sur la succession d'Hugo Chavez.