Voilà plus de 100 jours maintenant que Lula est de retour au pouvoir au Brésil : on peut dire que son installation a été difficile et agitée, comme en témoignent les événements du 8 janvier 2023 à Brasilia qui ont ébranlé les pouvoirs constitutionnels. Et lui faudra du temps pour commencer à présenter des résultats positifs – dans le meilleur des cas – dans les nombreux domaines, de la protection de l’environnement à la lutte contre la pauvreté, dans lesquels il est attendu.
Un événement récent vient de ponctuer cette période, c'est le retour au pays de son prédécesseur Jair Bolsonaro, après qu'il l’ait quitté juste avant l'investiture de Lula à laquelle il n'a pas participé. Il était aux États-Unis pour se reposer, se faire soigner, rencontrer ses partisans… et essayer de ne pas être associé à tout ce qui pouvait se passer au Brésil.
Bolsonaro a été un candidat clivant lors de la campagne pour sa réélection lors de l’élection présidentielle de 2022. Il a bénéficié à la fois d'une forte adhésion de ses partisans, et il a souffert d'un fort rejet de tous ceux que ses politiques et ses positions radicales hérissent. Cela a mené à une mobilisation très forte autour de lui et en même temps cela a permis à son adversaire Lula d'agréger en grand nombre les voix de ceux qui le rejettent à celles de ses partisans anciens dont il a retrouvé le soutien. On l'a vu, cela a constitué une majorité d’électeurs à l'élection présidentielle, mais une très courte majorité.
Bolsonaro plus fort que jamais ?
À présent, Bolsonaro est de retour, physiquement, sur le sol brésilien. Il va continuer à mener une bataille idéologique intense. Il va aussi pouvoir s'appuyer sur les victoires électorales et donc les positions institutionnelles de nombre de ses soutiens. Bolsonaro est aussi le nom d'une famille. Il y a Michelle, l'épouse de Jair, et il y a ses trois fils, Flavio, Carlos et Eduardo, tous impliqués à ses côtés, tous prêts à continuer à le porter et, quand il le faudra, à lui succéder.
On observe que malgré toutes ses prises de positions radicales, toutes ses déclarations extrêmes, il essaie de rester dans une légalité relative hors de laquelle il n'y aurait pour lui pas de salut politique. Dès lors il y aura certainement des tentatives judiciaires, pas toutes infondées, de l'écarter pour des motifs de droit commun, à la suite d’actions commises ou de propos tenus au cours de son mandat, avant, ou même après. Mais il n'y aura rien de si évident – comme une tentative de coup d’État à laquelle il serait directement relié – qui l’empêche de retourner le propos : il pourra toujours dénoncer des « complots » de ses adversaires, destinés à l'écarter du pouvoir. Par exemple il ne sera vraisemblablement pas aisé ni évident de relier Bolsonaro aux événements du 8 janvier qui ont bouleversé Brasilia et qui sont considérés comme une tentative de coup d'Etat.
Le leadership de Bolsonaro sur l’ensemble de l'opposition au lulisme reste en réalité aujourd'hui difficilement contestable. Les soutiens historiques de Bolsonaro, les évangéliques, l'armée et les organismes de sécurité, les lobbys agro-industriels, celui des détenteurs d'armes et en réalité tous les conservateurs ainsi qu'une partie des milieux d'affaires, sont toujours là, et sont prêts à se mobiliser encore à ses côtés à l'avenir. Que ce soit contre un Lula qui aurait des velléités de se représenter – faute d'alternative dans son camp car il aura 81 ans au terme de son mandat – au terme d’un mandat qu'il est aujourd'hui bien difficile d'imaginer qu'il sera réussi, ou face au successeur qui émergerait.
L'enjeu intérieur : Lula face au défi de sa vie
Lula dispose aujourd'hui de bien peu de leviers. En particulier, sa position au congrès est plus fragile qu'elle ne l'était lors de ses deux premiers mandats, parce qu’il y a face à lui l’alternative que représente le bolsonarisme qui, grâce au morcellement sans précédent des assemblées reste la première force au Congrès. C'est cette force, avec l'inertie qu'elle représente et sa capacité à organiser une opposition jusqu’à dicter en partie l’agenda, mais aussi à représenter une alternative pour le futur avec son leader Jair Bolsonaro, qui complique le jeu parlementaire de Lula.
Lula, d'autre part, a été élu avec une très courte majorité absolue, ce qui lui sera constamment rappelé. Ses adversaires historiques sont toujours ses adversaires, en particulier les milieux d'affaires et les grands médias. Et s'ils se sont plutôt opposés à Bolsonaro lors de l’élection, lui préférant le moindre mal que Lula – et ses alliés du centre-droit traditionnel – représentait à leurs yeux, celui-ci ne doit en attendre aucun soutien. Au contraire, ils ne lui laisseront rien passer. Et les 100 premiers jours de Lula, entre ce qui semble être une explosion de violences dans les écoles, une déforestation record en Amazonie, une crise économique et sociale qui s'aggrave avec en particulier une inflation alimentaire qui a fait exploser la pauvreté et qui maintient dans l'insécurité alimentaire un nombre croissant de Brésiliens, ont peu pour convaincre.
Lula a été critiqué en Occident à la suite de sa visite en Chine pour sa proximité avec le régime chinois mais aussi pour sa position d'équilibre, pour ne pas dire d'équivalence, entre la Russie et l'Ukraine. Il n'y a pourtant là, venant de Lula, rien de nouveau ni de surprenant. Lula appartient à une certaine génération, il a un passé et une culture politique de gauche radicale, et même si son passage au pouvoir a fait de lui un pragmatique, il a toujours eu un discours anti-impérialiste – c'est-à-dire plus ou moins ouvertement anti-américain – et il est l'artisan de l'explosion des échanges entre le Brésil leader de l'Amérique latine et leader agroalimentaire mondial, et la Chine dans laquelle il a vu un fabuleux marché en même temps qu’un partenaire géostratégique d'équilibre. Aujourd'hui, considérant l'importance prise par la Chine – et son marché – pour le Brésil, on peut même se poser la question de la réelle autonomie dont dispose désormais le pays vis-à-vis d’elle, mais ce n'est pas cela qui qui fera dévier Lula de sa trajectoire ancienne. Et d'ailleurs le problème n'est pas vraiment ici.
Pour Lula, comme pour le Brésil, le problème est intérieur. Que ce soit pour mener aujourd'hui la politique que ses partisans attendent de lui ou pour faire face demain au défi électoral : il s'appelle Jair Bolsonaro.