Latinomag.fr est partenaire d'Opinion Internationale, "le média des décideurs engagés au cœur de l'actualité"
Du 26 au 28 mars, Emmanuel Macron est accueilli en visite d’État au Brésil. C’est son premier voyage présidentiel en Amérique latine, et il est le premier dirigeant européen à être reçu avec de tels égards au Brésil depuis le retour de Lula au pouvoir, début 2023. Peut-être, sur place, prendra-t-il conscience de tous les bénéfices qu’il y aurait pour la France et pour l’Europe à approfondir la relation avec le pays et le sous-continent.
Les Sud-Américains sont francophiles et espèrent beaucoup de Paris. Et le drame est que les Français ne le savent pas et ignorent souvent ce grand continent ! Emmanuel Macron va-t-il réparer, en se rendant au Brésil, cette réflexion que nous partagions avec Jean-Pierre Bel, à l’époque président du Sénat français, et grand sud-américanophile.
Bélem, Rio, Sao Paulo et Brasilia en 48 heures chrono. C’est un marathon à la vitesse d’un sprint qui est donc promis au Président français. Il faut dire qu’il y a tellement de choses à rattraper, avec le Brésil comme avec l’ensemble de l’Amérique latine !
Pourquoi cette visite ? Selon l’Élysée, la planète vit un « moment brésilien ». Et il est donc nécessaire, après la glaciation de la période Bolsonaro – les deux chefs d’États s’insultaient parfois (on se rappelle le G7 tenu à Biarritz en 2019) mais ne se parlaient jamais – de relancer la « relation bilatérale » à un « niveau stratégique ». En effet, il semble que la France et le Brésil soient alignés sur les « grands enjeux globaux ». N’ayons pas peur des mots, ce voyage sera le signe d’une véritable « renaissance ».
Concrètement, les deux pays souhaitent se mettre d’accord en matière de lutte contre le changement climatique. La France et le Brésil, historiquement décarbonés en raison de son parc nucléaire pour la première, du recours aux agrocarburants pour le second, souhaitent porter des propositions communes lors des grandes échéances à venir, qui se dérouleront du reste au Brésil : le sommet du G20 à Rio en novembre et la COP30 à Belém en 2025.
Il sera bien sûr question d’économie, les entreprises françaises étant très présentes, et de longue date, au Brésil. Le grand sujet qui fâche, le projet de traité de libre-échange « UE-MERCOSUR », bloqué côté européen par la France au grand désarroi des Brésiliens sera-t-il évoqué ? On peut en douter car, « comme son nom l’indique» rappelle l’Élysée, ce n’est pas un sujet français et il sera, le moment venu, « discuté entre l’Union européenne et le Brésil ». Mais la voix de Paris compte encore à Bruxelles…
Côté français, il sera aussi question d’accompagner et de soutenir le Brésil, qui se voit en leader du « Sud Global » dans sa volonté de modifier les équilibres internationaux au « sein des institutions de Bretton Woods », soit le FMI et la Banque mondiale.
Il sera également question de coopération fiscale, de recherche scientifique et de culture, la France et le Brésil ayant prévu une « saison culturelle croisée » en 2025.
Si le retour d’un dialogue au plus haut niveau est en soi une excellente nouvelle – le Brésil et la France sont de longue date des pays amis et proches – il faut bien dire que l’ambition de cette première rencontre, au-delà des hyperboles relevant de la communication des uns et des autres (le climat et la transition écologique, la diversité des sociétés et le dialogue avec l’Afrique, la démocratie et la mondialisation équitable seront au menu des discussions), ne saute pas aux yeux. Et cela pour une raison simple : dans le monde tel qu’il se dérègle, la France et le Brésil ne sont plus au centre du jeu.
Car la question qui se pose est finalement : quel Lula s’apprête à recevoir quel Emmanuel Macron ? Côté français, nous avons un champion dont la puissante armée vient de se faire bouter hors d’Afrique par une poignée de blogueurs et de mercenaires russophiles. Nous avons un président qui ne parvient décidément pas à faire comprendre l’intérêt d’invoquer « des opérations de soldats français sur le terrain en Ukraine » : ni aux Français qui n’ont pas envie que leur pays attaque une puissance nucléaire, ni aux partenaires de la France qui redoutent une escalade, ni du reste aux Ukrainiens qui demandent de toute urgence des munitions et des armes conventionnelles. Ne parlons pas de sa proposition vite oubliée de mobiliser contre le Hamas la coalition qui a combattu l’EI…
Côté brésilien, nous avons retrouvé le Lula plein de fougue, celui de ses premières présidences entre 2002 et 2010, en héraut triomphant du multilatéralisme, prêt à s’engager dans toutes les médiations, tellement confiant dans la force de sa « diplomatie de la cordialité » qu’il en avait rêvé un instant de réconcilier les Etats-Unis et l’Iran.
Sauf que si Lula est resté le même, le monde a bien changé. Et les grandes démocraties occidentales ont beaucoup de mal à admettre qu’entre la Russie et l’Ukraine, Lula renvoie dos à dos l’agresseur et l’agressé, ou qu’il compare l’attitude d’Israël à Gaza, à celle du IIIe Reich, et oublie de rappeler la responsabilité du Hamas. Sa complaisance avec le dictateur vénézuélien d’extrême gauche Nicolas Maduro a fait tiquer jusqu’au président communiste du Chili, Gabriel Boric, qui n’avait pas apprécié que Lula décrive les massacres perpétrés par le régime vénézuélien comme un simple « narratif destiné à justifier les sanctions internationales ».
Bref, à l’heure où le monde multipolaire se scinde en deux blocs, celui des démocraties occidentales autour des Etats-Unis, et celui des régimes autoritaires autour de la Chine et de son vassal russe, la position ambivalente du leader autoproclamé du « Sud Global » devient de plus en plus inconfortable.
Que sortira-t-il du dialogue avec une France quelque peu démonétisée ? Emmanuel Macron et Lula parviendront-ils à montrer que ces deux puissances, qui eurent leurs heures de gloire, peuvent faire mieux que claudiquer de concert ? Et espérer que, bras dessus bras dessous, elles retrouvent un peu de superbe, sinon de crédibilité ?
Les Jeux Olympiques de Rio, organisés en 2016 mais obtenus sous la présidence de Lula, avaient sonné le triomphe du soft power brésilien. Ils avaient notamment sacré la seleçao de football. Signe des temps, celle-ci ne s’est même pas qualifiée et sera une des grandes absentes de Paris 2024.
*Mas, que nada est le titre d’un grand succès du chanteur et musicien brésilien Jorge Ben Jor paru en 1963. Le titre signifie « Mais ce (n’est) rien », une expression pour dire « C’est mieux que rien ».
Michel Taube, fondateur d'Opinion Internationale