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Le 22 octobre, Maria Corina Machado, triomphant dans la primaire de l’opposition au Venezuela avec 93% des voix, s’imposait comme la candidate d’union tant attendue pour mettre fin au régime de Nicolas Maduro lors de la présidentielle de 2024.
Trois semaines plus tard, les autorités électorales vénézuéliennes ont « suspendu » les résultats de la primaire et Maria Corina Machado est privée de ses droits civiques. Le chemin vers la démocratie s’annonce long et pavé d’embûches, mais il faut s’y engager résolument.
En 10 ans, le PIB du Venezuela a diminué de 80%, et au moins 7 millions d’habitants, soit 20% de sa population, ont émigré, principalement des actifs et des personnes diplômées. L’eau et l’électricité ne fonctionnent que quelques heures par semaine, y compris dans les écoles et les hôpitaux. Ne parlons pas de l’hyperinflation qui oblige les uns et les autres à jongler entre plusieurs emplois informels. Comme à Cuba, la principale activité est devenue, pour l’immense majorité de la population, la recherche de nourriture, jour après jour, pour soi et pour ses proches. Le taux d’homicides au Venezuela est le plus élevé d’Amérique latine, devant celui du Honduras (El Pais, 3 octobre 2023). Il n’y a plus de libertés publiques, les grands médias historiques ont été fermés depuis longtemps ou sont passés sous le contrôle de proches du pouvoir. L’opposition politique est soit exilée, soit emprisonnée, soit poursuivie.
Alors qu’aujourd’hui le désastre est total, le régime présidé par Nicolas Maduro, l’héritier du défunt Hugo Chavez au pouvoir depuis 2013, s’avance gaiement vers l’élection présidentielle du second semestre de 2024 et vient même d’obtenir une victoire politique en signant (à la Barbade) un accord avec son opposition sur les conditions de la participation de cette dernière à l’élection présidentielle.
Cependant, caillou dans la chaussure maduriste, le pays est soumis à une batterie de sanctions internationales. Outre le fait que les importants avoirs du pays à l’étranger sont gelés et inaccessibles au régime depuis des années, privant celui-ci de ressources dont il aurait bien besoin, ne serait-ce que pour consolider la loyauté de son appareil sécuritaire, des dizaines de ses dirigeants, à commencer par Maduro, sont poursuivis aux États-Unis. Ils le sont en raison de leurs atteintes aux droits de l’homme et à la démocratie (Amnesty International a estimé à au moins 8000 le nombre d’exécutions extrajudiciaires entre 2015 et 2017 et recense au moins 47 morts dans la répression des seules manifestations du 21 au 25 janvier 2019), mais aussi pour narcotrafic et corruption.
L’opposition, totalement muselée et ne disposant pour se faire entendre que des seuls réseaux sociaux, s’est en outre longtemps montrée divisée entre les opposants radicaux au madurisme, prêts à boycotter des scrutins truqués et à le chasser par la force, et ceux acceptant de jouer le jeu des élections… La première tendance, celle des « durs » a longtemps été incarnée par Juan Guaido, président autoproclamé (il présidait alors l’Assemblée nationale) du Venezuela en 2019 à la suite de la réélection frauduleuse de Nicolas Maduro. Juan Guaido a été reconnu par une soixantaine de pays dont les États-Unis et les principales démocraties occidentales. Celui-ci ayant échoué à mettre fin au régime par la manière forte, la voie institutionnelle a été privilégiée par les différents partis d’opposition et l’accord de la Barbade a donc été signé le 17 octobre 2023 avec le régime maduriste, grâce à la médiation de la Norvège et le soutien des États-Unis.
Un accord avec l’opposition… qui profite surtout à Maduro et à Biden
Confirmant que des élections présidentielles auront bien lieu au second semestre 2024, cet accord prévoit que les candidats de l’opposition pourront y participer ( !). En « contrepartie » il prévoit la levée – temporaire et conditionnée à des avancées concrètes – de certaines des sanctions des États-Unis contre le régime vénézuélien et réduit les limitations aux exportations de pétrole.
Il présente aussi, pour le gouvernement des États-Unis, plusieurs mérites du point de vue de la politique intérieure. A travers cet accord, Maduro a en effet enfin accepté la réadmission dans son pays de ses concitoyens émigrés clandestinement et arrêtés aux États-Unis. Les premiers avions n’ont d’ailleurs pas tardé à débarquer à Caracas les Vénézuéliens expulsés, un signal dont Joe Biden avait bien besoin alors qu’il est très critiqué pour le laxisme supposé de sa politique migratoire. Par ailleurs, à l’heure où la guerre en Ukraine se poursuit et où le Proche-Orient s’enflamme de nouveau, provoquant des tensions sur les cours du pétrole, un peu de détente est bienvenue sur ce front qui menaçait de relancer l’inflation difficilement maîtrisée aux États-Unis.
L’opposition vénézuélienne, dindon de la farce ?
Première concernée par ce qui est à première vue une « avancée démocratique » lui ouvrant en théorie les portes de la participation politique, l’opposition n’a pas tardé à saisir l’occasion. La primaire ouverte qu’elle a organisée le 22 octobre 2023 à l’échelle nationale et auprès de sa diaspora, a connu un succès populaire retentissant avec plus de deux millions de participants selon elle, d’importantes files d’attente et aucun incident sérieux. Le résultat est sans appel, Maria Corina Machado l’ayant emporté avec plus de 93% des voix. Âgée de 56 ans, surnommée la « Dame de fer » et parlementaire depuis deux décennies, elle se définit comme « centriste » sur l’échiquier politique. Elle est admirée pour son courage, ayant toujours refusé de s’exiler et pour son engagement politique total et son opposition radicale à Hugo Chavez puis à Nicolas Maduro. Pour la première fois, l’opposition s’avance donc unie et rassemblée vers la présidentielle de 2024, une des conditions indispensables à sa victoire.
Les premiers écueils sont bientôt apparus. Il s’est ainsi avéré que Maria Corina Machado a été privée de ses droits civiques à la suite d’une obscure infraction sur sa déclaration de patrimoine à l’époque où elle était députée. Elle est donc inéligible pour 15 ans. Une vieille astuce des pouvoirs totalitaires en général et de celui du Venezuela en particulier pour écarter des élections leurs adversaires les plus dangereux…
Quelques jours plus tard, on a appris que la Chambre électorale de la Cour suprême de la Justice du Venezuela a déclaré l’ensemble du processus de la primaire illégal et l’a donc… suspendu ! Il est vrai que l’opposition avait préféré repousser l’offre de services de l’organisme chargé d’organiser les élections dans le pays, celui-ci étant totalement inféodé au régime. Toujours est-il que la campagne de l’opposition apparaît entravée avant-même d’avoir réellement commencé.
Jusqu’où ira Maria Corina Machado ?
Quelques semaines après la signature triomphale de l’accord électoral et à près d’un an de l’élection présidentielle, la situation semble déjà dans l’impasse. Il est ainsi totalement inenvisageable que Maduro accepte une confrontation loyale, dans les urnes, face à la candidature unitaire de Maria Corina Machado : il serait balayé.
Alors que les coups bas commencent à pleuvoir, on peut s’attendre à retrouver toutes les méthodes auxquelles le régime de Maduro nous a habitués pour vaincre son opposition : écarter les candidats les plus dangereux et discréditer les autres, susciter des candidatures fantoches pour diviser ses voix, décourager la participation de ses partisans, pour in fine truquer les résultats en prétendant que les autres ont fraudé. Le tout en espérant obtenir, de guerre lasse, une reconnaissance tacite de l’état de fait par la communauté internationale. Et vogue la galère cinq ans de plus…
Dans cette hypothèse, que feront les États-Unis à l’approche de leur propre élection présidentielle elle aussi prévue à la fin de l’année 2024, et dont il est évident qu’elle mobilisera toute leur attention ? Un autre paramètre à ne pas négliger est le soutien sans grande nuances que recueille désormais le Venezuela auprès des grands dirigeants de gauche d’Amérique latine, qu’il s’agisse de Lula au Brésil, de Gustavo Petro en Colombie ou d’Andres Manuel Lopez Obrador au Mexique (qui connaîtra lui aussi une élection présidentielle le 2 juin 2024). A l’heure actuelle, tous ces acteurs se rejoignent pour condamner les sanctions que font peser les États-Unis sur le Venezuela (comme sur Cuba), attribuant à ces sanctions la responsabilité de l’effondrement de ces pays.
La voie pour sortir le Venezuela de l’impasse est donc étroite, et le départ de Maduro du pouvoir dépendra probablement autant de négociations qui lui assureraient une sortie honorable et une retraite dorée, que d’élections équitables. L’opposition vénézuélienne, comme la société civile et la communauté internationale, devront peser de tout leur poids dans cette direction pour éviter que le cynisme maduriste finisse paisiblement de ruiner un pays qui possède les réserves d’hydrocarbures les plus importantes au monde, une nature généreuse et une population éduquée.
Alors que toutes les perspectives de normalisation et de récupération du Venezuela convergent vers la candidature de Maria Corina Machado, le chemin qui s’ouvre devant elle s’annonce extraordinairement difficile. Mais désormais, tout au bout, s’est allumée une lueur d’espoir.
Laurent TRANIER
Chef de la rubrique Amérique latine d’Opinion Internationale
Fondateur des Éditions Toute Latitude