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Les accords dits de la Barbade signés entre le pouvoir vénézuélien et l’opposition sous l’égide des États-Unis le 17 octobre 2023 engageaient le pouvoir vénézuélien à organiser des élections présidentielles loyales au cours du second semestre 2024. Mais dans le Venezuela maduro-chaviste, la vie politique est une telenovela tragique dont les victimes sont toujours le peuple et les opposants au pouvoir. Jusqu’à ce jour en tout cas.
Comme convenu, l’opposition rassemblée dans la « Table de l’unité démocratique » (Mesa de la Unidad Democrática, ou MUD) a organisé une élection primaire afin de se choisir un candidat unique en vue de la présidentielle qui se déroulera le 28 juillet prochain : le scrutin du 22 octobre a vu la désignation triomphale de Maria Corina Machado, avec 92% des voix des plus de deux millions de citoyens qui ont eu le courage d’y participer. Elle devait donc être la candidate de l’opposition unifiée face au président sortant Nicolas Maduro.
Sauf que la Justice, entièrement aux ordres du pouvoir exécutif, a opportunément découvert qu’elle aurait naguère commis un certain nombre de délits et l’a condamnée à une peine d’inéligibilité de quinze ans. Écartée d’un scrutin dans lequel elle se serait présentée en immense favorite, elle a fini par accepter de désigner une remplaçante, l’universitaire Corina Yoris… qui, pour des raisons techniques qui resteront mystérieuses, n’a pas pu remplir le dossier d’inscription mis en ligne par les autorités. Afin que le bulletin de vote du candidat de l’opposition unie ne reste pas vierge de tout nom, Edmundo Gonzalez Urrutia a été inscrit in extremis et provisoirement pour le scrutin, avec l’idée – comme la loi vénézuélienne le permet – que lui soit substitué une autre candidature dans les semaines suivantes…
Edmundo Gonzalez Urrutia, candidat malgré lui
Il y a du provisoire qui dure : Edmundo Gonzalez Urrutia, ancien diplomate de 74 ans, écarté par le chavisme en 2002, novice devant le suffrage universel, apprécié par ses pairs, vient d’être officiellement désigné candidat par la MUD. Il bénéficie du soutien total de Maria Corina Machado, qui du reste s’est lancée dans une campagne à travers tout le pays en brandissant son portrait. En effet, Edmundo Gonzalez Urrutia, au ton rassurant, au propos rassembleur et à l’ambition modeste, reste un inconnu du grand public alors que Maria Corina Machado est la personnalité politique la plus connue et la plus appréciée : compte tenu de la situation catastrophique dans laquelle se trouve le pays, il y a toutes les chances que le transfert de la popularité de Maria Corina Machado vers un vote pour Edmundo Gonzalez Urrutia se réalise largement.
La situation du Venezuela est telle (un quart de sa population a émigré en 15 ans, son PIB s’est effondré, selon les estimations, de 80% sur la même période, mais il y a bien longtemps qu’il n’y a plus de chiffres officiels en matière d’économie, les services publics sont tous dans un état désastreux, les libertés publiques sont totalement bafouées et le quotidien de la majorité de la population se résume au défi de trouver de quoi manger au jour le jour) que la victoire d’une opposition enfin unie ne fait aucun doute dans le cadre d’une élection loyale. Nicolas Maduro n’avait aucune chance contre Maria Corina Machado, et la victoire de son remplaçant est très probable. Dans le cadre d’une élection loyale.
Les 1001 trucs et astuces des dictatures impopulaires pour gagner des « élections »
Mais voilà : en dépit des propos conciliants, rassembleurs et rassurants de Edmundo Gonzalez Urrutia à l’adresse de Maduro et de son gouvernement, celui-ci peut-il accepter aussi facilement de quitter le pouvoir (et le fromage que représente la rente pétrolière vénézuélienne, même si depuis l’arrivée de Hugo Chavez au pouvoir en 1999 la production pétrolière est passée de 3 millions à 1 million de barils par jour, après avoir atteint un point bas à 300 000 en 2022), au simple motif qu’il a perdu une élection ? La réponse est évidemment négative. Alors que peut-il se passer ?
Rappelons tout d’abord que, héritage du processus de la Barbade, les observateurs internationaux, de l’Union européenne mais aussi de l’Institut Carter devraient bien être présents pour rendre compte du processus électoral. Certains seraient d’ores et déjà sur place, avec la capacité de dénoncer des irrégularités qui pourraient se produire.
Outre qu’il s’est donc arrangé pour que son principal adversaire soit un parfait inconnu, Nicolas Maduro a prévu, pour montrer la grandeur et la beauté du pluralisme politique vénézuélien, que d’autres candidats puissent proposer leurs services au pays. Si bien qu’aujourd’hui, neuf autres candidats revendiquant toutes les couleurs de l’arc-en-ciel politique, sont en lice. Officiellement opposés à Nicolas Maduro, la plupart d’entre eux représentent des partis satellites du maduro-chavisme et ne manquent pas de dire, en guise de campagne, tout le bien qu’ils en pensent. Souvenons-nous, le procédé a été utilisé récemment dans le simulacre d’élection présidentielle en Russie.
Pour mémoire, la notion de « campagne » prend un sens très particulier pour l’opposition, puisqu’il n’y a plus de presse ni de médias audiovisuels d’opposition ni indépendants depuis longtemps au Venezuela, la majorité de l’entourage politique de Maria Corina Machado a été arrêté sous divers prétextes (et a rejoint dans les geôles du régime les approximativement 300 prisonniers politiques recensés par Amnesty International), les principales figures ayant été contraintes de s’exiler. Les contrariétés d’ordre pratique, les menaces et la violence politique sont omniprésents au quotidien. Le seul espace de ralliement pour les opposants reste celui offert par les réseaux sociaux.
Il faut donc s’attendre à ce que tous les stratagèmes permettant à une dictature en place d’obtenir satisfaction dans les urnes malgré sa grande impopularité, soient employés. Avec un nouveau bras de fer au terme de l’élection qui verrait Nicolas Maduro revendiquer sa victoire, démentie par l’évidence et un grand nombre de preuves de fraude apportées par les observateurs internationaux, des preuves bien vite disqualifiées par la Justice vénézuélienne aux ordres. S’ensuivrait une nouvelle période de tension entre le Venezuela et les démocraties occidentales, ses voisins se montrant pour la plupart réprobateurs, mais avec des nuances, et le Venezuela se retrouvant plus que jamais au cœur du réseau des autocraties qui se met en place avec les CRIC (Chine, Russie, Iran, Corée du Nord) et, sur le continent latino-américain, les dictatures de Cuba et du Nicaragua.
Scénario du pire et lueur d’espoir
Face à ce scénario du pire, mais déjà vu ailleurs et, peu ou prou au Venezuela lui-même lors de la précédente élection présidentielle en 2018, il y a une infime possibilité d’issue démocratique et apaisée. Peut-être qu’en effet, par souci de préserver des apparences qui ne trompent en réalité personne et de s’épargner temporairement certaines sanctions économiques imposées par les États-Unis, le Maduro-chavisme s’est placé, à travers les accords de la Barbade, dans une nasse conduisant à sa propre fin. Le scénario, hélas pour les Vénézuéliens, n’est pas le plus probable.
En attendant, les États-Unis, qui avaient levé une partie des sanctions qu’ils imposent au Venezuela notamment dans le secteur pétrolier, viennent de les rétablir, au vu de l’évidente mauvaise foi du pouvoir vénézuélien.