La sincérité de l'affection, de l'admiration, de la fascination qu'Hugo Chavez ressent pour Simon Bolivar (1783-1830) ne saurait être mise en doute. Le Président vénézuélien est imprégné, il est inspiré par le Libertador de l'Amérique latine, certainement dans la forme et peut-être sur le fond.
Sur le fond, dans sa pensée politique et dans son action, on ne saurait cependant l'affirmer avec certitude. La pensée de Simon Bolivar a en effet été revendiquée par toute la palette des partis politiques, de droite et de gauche, et célébrée par tous les régimes, du plus démocratique au plus autoritaire. Lors du centenaire de la mort de Simon Bolivar, en 1930, le Libertador est ainsi invoqué en Italie comme l'un des précurseurs du fascisme. Franco sera par la suite représenté comme "l'authentique interprète de sa pensée". Il n'y a que Marx qui rejette sans nuance le Libertador dans la catégorie "sanguinaire". Mais il est vrai qu'il ne connaissait pas bien l'histoire de l'Amérique latine et qu'il ne pouvait imaginer combien de crimes seraient commis au nom de sa propre pensée.
En Bolivar, Hugo Chavez admire l'homme admirable, le grand homme, le héros. Le général victorieux, le conquérant, l'homme d'Etat qui a changé le cours de l'Histoire et redessiné la carte du continent.
En Bolivar, Hugo Chavez admire aussi certaines idées du Libertador, son obsession de la liberté pour les peuples d'Amérique espagnole, son intuition d'une identité latinoaméricaine, l'égalité qu'il proclame en principe entre les hommes de toutes les origines et de toutes les conditions, c'est l'idée de nation. Sa volonté d'unir les peuples au-delà des frontières, son désespoir de ne pas voir émerger d'esprit public, de sens de l'intérêt général au sein des élites du Venezuela ou de Grande-Colombie. L'importance de l'éducation, comme condition de la citoyenneté et donc instrument au service de la liberté.
Il y a peut-être chez Hugo Chavez une admiration excessive, car sans nuances. Une admiration déraisonnable mais certainement pas irraisonnée. Car, pour tous les motifs pour lesquels Hugo Chavez admire Simon Bolivar, et pour d'autres encore, de meilleurs et de moins bons, le Libertador est une figure populaire. Fabuleusement populaire. Et un homme politique, un homme d'Etat souhaitant poursuivre son action au sommet du pouvoir, a besoin de popularité. Et il a intérêt à s'identifier à une telle figure populaire.
"Au fond de mon coeur, depuis des années, j'ai la conviction que Bolivar n'est pas mort de la tuberculose" a déclaré Hugo Chavez en ordonnant, le 16 juillet 2010, que soit ouvert le tombeau de Simon Bolivar au Panthéon national de Caracas, afin qu'il soit procédé à des analyses des restes de son corps. Pour prouver que le Libertador n'est pas mort de la tuberculose, mais assassiné, vaincu au terme d'un lâche complot.
Une mort au combat et une trahison qui le grandiraient. Un complot qui prolongerait le parallèle entre le héros et Chavez, qui se proclame sans cesse victime de basses manoeuvres, menacé par son ennemi nord-américain et ses complices impérialistes.
Il n'y a pas de doute, en réalité, sur le fait que Bolivar soit mort de la tuberculose, ou d'un traitement à base d'arsenic destiné à l'en guérir. Il a échappé à bien trop d'attentats alors qu'il était au pouvoir pour succomber à la première intrigue une fois qu'il l'a quitté. Hugo Chavez ne serait pas le premier responsable politique essayant de réécrire l'histoire dans le sens de ses intérêts. Ceux d'un homme politique souhaitant rassembler le peuple autour de ses figures, d'hier et d'aujourd'hui, quitte à manipuler la démocratie et à trahir son héros ?
A lire : Simon Bolivar, la conscience de l'Amérique
Traduit et présenté par Laurent Tranier
Editions Toute Latitude - Collection "Esprit latino" - 192 pp. - 17,80 €
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