Le 89e numéro de la revue Problèmes d'Amérique latine intitulé "Mexique 2000-2012, limites et impasses de la transition démocratique", se penche sur les difficultés de ce géant latino à intégrer tous les secteurs de la société dans des processus démocratiques efficients. Si les universitaires, les émigrés, les nombreux mouvements sociaux trouvent des voies d'influence plus ou moins satisfaisantes, il est un domaine sur lequel se brisent toutes les volontés : celui de la violence, abordée par Salvador Maldonado Aranda dans un article intitulé "Violence d'Etat et ordre criminel, les coûts de la guerre perdue du Michoacan" qui propose un nouveau regard sur le phénomène.
Pour l'auteur, l'analyse selon laquelle la violence serait le résultat de l'échec des politiques publiques conduites contre la criminalité n'est pas satisfaisante : si on descend à un niveau plus fin d'analyse politique et socio-historique, on se rend compte que les trafics en tous genres, notamment le narcotrafic, et la violence qui en découle sont un invariant historique devenu trait culturel dans bien des régions du Mexique. C'est en particulier le cas dans l'Etat du Michoacan, théâtre d'une violence spectaculaire dans la durée et objet de son étude. Ainsi la violence ne serait pas l'adversaire des pouvoirs publics régionaux ou d'Etat mais le contexte voire la condition même du maintien des structures de pouvoir publiques, qui "organiseraient" cette violence pour se perpétuer.
Une guerre-spectacle sans issue
La guerre contre le narcotrafic décrétée au sommet de l'Etat deviendrait donc celle d'un Etat en lutte contre une partie de lui-même. Outre qu'elle se révèlerait particulièrement ambigüe car sélective, cette lutte se trouverait nécessairement vouée à l'échec, semant le désordre là où des cartels prétendent faire régner un ordre, à l'exemple de la Familia du Michoacan, qui essaye de se faire passer pour une organisation protectrice de la société... contre un Etat corrompu et allié à d'autres cartels. Ce qui n'est qu'à moitié faux, une analyse largement partagée du développement ou du recul de certains cartels dans les années 1990 ou 2000 étant la préférence donnée par l'Etat, à travers certaines de ses branches sécuritaires corrompues, à tel ou tel groupe (le film Traffic de Steven Soderbergh (2000) présente assez finement ce phénomène). La spectaculaire guerre militaire contre le narcotrafic lancée par le précédent président Vicente Calderon a ainsi simplement abouti au désordre, à l'exaspération de la violence, à une perte totale de confiance de la part des citoyens confrontés à la double terreur aveugle et impunie des cartels et de l'Etat. Avec pour corollaire une recomposition permanente du paysage mouvant de cartels régulièrement décapités mais toujours renaissants.
La doctrine de l'actuel président Enrique Pena Nieto ne doit pas se limiter à un retour à une relative paix civile, masque d'une criminalité florissante ponctuée de spectaculaires arrestations pour donner le change. La marque d'un narco-Etat.
A lire, le numéro 89 (janvier 2014) de la revue Problèmes d'Amérique latine - Mexique 2002-2012, limites et impasses de la transition démocratique.