David A. BELL, professeur à Princeton, est historien et spécialiste de la France dans la période révolutionnaire. Son passionnant nouvel essai, Le culte des chefs - Charisme et pouvoir à l'âge des révolutions (Fayard, 380 pp., 26 €) compare cinq expériences révolutionnaires ayant conduit au pouvoir des chefs militaires charismatiques et révèle combien ces expériences sont indissociables d'enjeux démocratiques. Parmi ses sujets d'analyse : Simon Bolivar.
Simon Bolivar, est non seulement un stratège exceptionnel et un chef de guerre exemplaire, capable de rassembler et d'entrainer des armées, mais il est aussi un intellectuel et politique supérieur, à la très forte culture des Lumières, connaisseur aussi bien de Rousseau que de Montesquieu, des constitutions anglaise ou américaine, de la pensée et de l'action de George Washington, Napoléon Bonaparte ou Toussaint Louverture en Haïti. Sa première ambition, libérer l'Amérique de son colonisateur espagnol, est atteinte au cours du premier quart du XIXe siècle, Bolivar lui-même étant directement à l'origine de six Etats existant aujourd'hui, le Vénézuéla, la Colombie, l'Equateur, le Pérou, la Bolivie et le Panama. Il souhaite aussi doter ces Etats d'institutions solides, gouvernées par l'esprit public et garantissant la liberté et la sécurité des citoyens, bannissant l'esclavage et unies en une confédération continentale...
Tout cela a échoué largement, malgré ses immenses capacités et ce charisme que David A. BELL compare à celui des Washington, Bonaparte, Paoli ou Louverture dont il rappelle et rapproche le destin. La "magie de son prestige", l'enthousiasme public qu'il suscite, l'"acclamation universelle" qui accueille ses propositions, trop attachés à sa personne, ne lui permettent pas de consolider un Etat à l'échelle de si vastes territoires, finalement morcelés et aux intérêts divergents. Il s'effondre avec son oeuvre, qu'il a toujours refusé avec horreur de voir transformée en Empire, attaché au seul titre que nul ne lui contestera jamais, le titre de "Libertador".
Dans tout l'hémisphère occidental, le défi de transférer ce charisme des chefs, indissociable des premiers temps de la démocratie, à des institutions efficaces, pérennes et respectueuses des libertés, reste en grande partie entier.
Le culte des chefs - Charisme et pouvoir à l'âge des révolutions, de David A. Bell, Fayard, 380 pp., 26 €.