Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO), le nouveau Président des Etats-Unis du Mexique en fonction depuis le 1er décembre 2018 semble vivre son engagement politique comme un sacerdoce. Depuis un quart de siècle, il y consacre toute son énergie, toutes ses ressources, dans une position naguère de gauche plutôt radicale, aujourd'hui de populisme "attrape tout" au sein du mouvement qu'il a cofondé, Morena. On ne lui connaît pas d'autre activité économique - sinon la publication de nombreux livres - et son train de vie s'avère plutôt modeste, cohérent avec un patrimoine personnel de 446 068 pesos (20 519 Euros) ainsi qu'il résulte de sa déclaration de patrimoine rendue publique au début de son mandat. Son épouse Beatriz Gutierrez Müller, professeure d'université, a déclaré pour sa part un patrimoine d'une valeur de 8 093 637 pesos (372 307 euros), incluant l'appartement de Mexico dans lequel ils vivent.
Un Président honnête ?
Cette modestie affichée, et semble-t-il réelle, signifie-t-elle qu'AMLO serait un Président honnête, qu'en tout cas il échapperait à la corruption massive institutionnalisée depuis longtemps par les cartels de narcotrafiquants ? Et bien peut-être bien !
Au sommet d'institutions corrompues...
Le problème est qu'AMLO se trouve à la tête d'un Etat dont la quasi-totalité des structures politiques et administratives, des organes de sécurité intérieure, de la Justice mais aussi de l'armée à différents niveaux ont été ou sont encore confrontés à une corruption systématique par le narcotrafic. Ce schéma, pour ne pas dire cette culture, troquant paix civile relative contre trafic en toute impunité pour le plus grand profit de tous, découle de la collusion entre le Parti de la Révolution Institutionnelle (PRI, au pouvoir de 1928 à 2000 puis de 2012 à 2018) et les différents cartels qui ont développé le narcotrafic depuis les années 1960. Elle existe au niveau central, comme au niveau des Etats fédérés et au niveau local. Le Parti Action Nationale, au pouvoir de 2000 à 2012 avec Vicente Fox puis Felipe Calderon n'a pas su changer cette situation. La déclaration de guerre de ce dernier, décidant de militariser la lutte contre les cartels en s'appuyant en 2006 sur la prestigieuse Infanterie de Marine, a certes permis l'élimination des chefs des cartels de Tijuana, de Juarez ou des Zetas. Mais le résultat en a été une explosion des violences, guerres de pouvoirs internes aux cartels décapités, guerres de conquêtes de nouveaux territoires pour le cartel de Sinaloa, le cartel Jalisco Nueva Generation ou les sept autres organisations criminelles recensées aujourd'hui sur près des deux tiers du territoire mexicain. Sans compter les exactions reprochées aux militaires et leurs méthodes expéditives. Le bilan est supérieur à 200 000 morts et environ 40 000 disparus entre 2006 et 2018 avec un pic à 28 866 homicides en 2017 et un record à 33 341 en 2018. Pour un 135e rang sur 180 pays dans le classement de la corruption proposé par Transparency International en 2018...
Alors que faire ?
La campagne présidentielle qui a abouti à la large victoire d'AMLO avec 53% des voix le 1er juillet 2018 face à 4 adversaires n'a pas permis d'éclairer l'électeur mexicain sur les solutions qui seraient réellement mises en oeuvre pour tenir la promesse unanime de lutter contre le crime et la corruption. AMLO avait ouvert plusieurs portes : celle de la légalisation encadrée de la production, la vente et la consommation du cannabis sur le territoire national ; celle de l'amnistie pour les petits trafiquants, celle du développement économique pour offrir de vraies perspectives aux jeunes, celle enfin du retour des militaires dans les casernes. Des propositions intéressantes, notamment, pour la première, si l'on se réfère aux expériences récentes et réussies de l'Uruguay et de plusieurs Etats des Etats-Unis d'Amérique. Mais rien qui soit de nature à mettre un terme à la violence entre des cartels qui se disputent les routes de la cocaïne, entre autres drogues, ainsi que le trafic de migrants vers l'immense marché du Nord du continent.
Renoncer à la militarisation : oui, mais...
L'Etat du Michoacan a été le théâtre en 2012-2013 d'une expérience étonnante de résistance populaire aux violences liées au narcotrafic : les Groupes d'autodéfense communautaires, composés d'habitants des villages, supposés honnêtes travailleurs, se sont emparés d'armes (semble-t-il prises au cartel des Chevaliers templiers qui était là le principal responsable des exactions). Organisés sous l'autorité charismatique du Docteur Jose Manuel Mireles Valverde, ils sont partis à la reconquête du territoire, municipalité après municipalité, débusquant puis chassant les narcos. Les assassinant aussi s'il le fallait. Et cela a fonctionné, le Gouvernement s'avérant aussi impuissant à réduire les narcotrafiquants que le peuple en armes. Puis cela a dégénéré car aux honnêtes travailleurs sont venus se greffer d'honnêtes bandits, avant que le Gouvernement ne se ressaisisse et n'impose la transformation de ces Groupes en une Force Rurale de Défense officielle... et très vite contrôlée par des narcos. Justice est rendue à cette aventure dans l'excellent documentaire Cartel Land de Matthew Heineman (2015) filmé au coeur de la violence et nominé aux Oscars dans sa catégorie.
Une Garde nationale, le peuple en armes contre les narcos
Dans un contexte de corruption généralisée et de "grave décomposition des corps de police" ainsi que l'a constaté AMLO lui-même, la seule solution semble être auprès de militaires, supposés plus éloignés des tentations et moins sensibles aux dérives que les civils. L'idéal étant de construire une force nouvelle, à partir de personnels nouveaux, bien rémunérés, rapidement formés et solidement encadrés sur les plans idéologique et moral. C'est la solution retenue par AMLO, qui a annoncé en décembre 2018 la création d'un corps inédit, une Garde nationale, composée de militaires et de policiers fédéraux triés sur le volet ainsi que de 50 000 recrues âgées de 18 à 30 ans. Les fonctions de police seront ainsi officiellement placées sous contrôle militaire. Certains y voient un revirement par rapport à la sensibilité exprimée pendant la campagne présidentielle. Mais si le "tout sécuritaire" est sans issue, son absence est également impensable. L'exercice du pouvoir suppose de trouver un équilibre avec l'approche sociale. Une tache immense attend cette Garde nationale, nouvelle figure du peuple en armes contre les narcos.
Laurent Tranier
Directeur de la Rédaction - www.latinomag.fr