A quoi ressembleront les prochaines années du Brésil sous la présidence de Jair Bolsonaro, vainqueur du second tour de l'élection présidentielle du 28 octobre, avec 55,13 % des voix face à Fernando Haddad (Parti des Travailleurs) ?
Le signe des échecs et du rejet
La large victoire de Jair Bolsonaro est le signe du rejet d'un système politique partisan discrédité par sa corruption massive et son inefficacité. Cet échec, c'est celui de toute une génération politique, celle de Lula, partisans et adversaires confondus, qui n'a pas su tenir ses promesses. Avec, circonstance aggravante pour le leader historique du Parti des Travailleurs, un entêtement coupable à maintenir aussi longtemps que possible une candidature impossible, depuis la cellule de sa prison.
Cet échec, c'est celui d'une politique économique construite sur la dépense publique, c'est-à-dire la dette publique, au profit des catégories sociales les plus défavorisées dont la condition matérielle s'est certes améliorée grâce aux transferts sociaux massifs, mais sans perspectives de réelle évolution économique et sociale. C'est l'échec de la transformation du modèle productif vers plus d'efficacité et l'échec des politiques éducatives qui a conduit le piège de l'assistanat à se refermer sur les plus modestes, tout en exaspérant les plus productifs.
Cet échec, c'est enfin celui de l'Etat régalien et d'une politique sécuritaire totalement défaillante, incapable de contenir les épanchements d'une société intrinsèquement violente : violence de la grande criminalité des gangs et des trafiquants, mais aussi celle des forces de l'ordre plus ou moins corrompues et celle des rapports sociaux. Le Brésil reste, au-delà des clichés sur la légèreté, la joie de vivre, le métissage, largement raciste, sexiste, homophobe.
Le signe d'une réelle adhésion
La victoire de Jair Bolsonaro est aussi celle d'une adhésion massive à un discours aussi vague qu'imprécis, qui a porté le glaive dans toutes les plaies : sur le plan de l'économie, il lui a suffi de prendre le contre-pied des politiques actuelles en mettant en avant son conseiller économique Paulo Guedes connu pour ses convictions libérales (privatisations, retrait de l'Etat, retour à l'équilibre des finances publiques, création d'un système de retraite par capitalisation : on n'en sait guère plus sur le projet). Sur le plan de la sécurité, il lui a suffi de promettre l'immunité aux forces de l'ordre, la libéralisation du port d'armes - malgré les désastres avérés de cette pratique aux Etats-Unis par exemple - et d'envoyer des signaux explicites et scandaleux, racistes, sexistes, homophobes ou encore nostalgiques de la dictature militaire et de ses tortures.
Jair Bolsonaro est ainsi devenu le héraut du triple lobby qui domine la vie politique brésilienne, le fameux BBB ("Biblia, Balas, Buey", soit "Bible, Balles, Boeuf"), celui de l'agro-business, celui des armes, et celui des religieux évangéliques. Il est donc devenu le candidat du business, de l'ordre, de la famille et des valeurs, en un mot, "du bien contre le mal". Ajoutez à cela un coup de couteau qui a failli lui ôter la vie, mais qui lui a aussi permis d'esquiver tout débat et de démentir, preuve à l'appui, que la violence viendrait de lui.
Quels contre-pouvoirs ?
Dans un monde politique brésilien morcelé, Jair Bolsonaro, lui-même issu d'un petit parti, devrait parvenir à rallier au Congrès le marais parlementaire qui fait les majorités. La promesse de participer au partage du pouvoir - et de ses avantages - devrait suffire à lui assurer bien des soutiens dans un contexte où les nombreux partis conservateurs et ceux liés au lobby BBB occupent une place prépondérante.
La grande presse, qui appartient aux milieux d'affaires et qui a participé au discrédit de ses adversaires en le faisant apparaître comme un recours dans un univers de compromissions et de corruption, semble pour l'instant séduite par son programme libéral porté par Paulo Guedes.
L'opinion internationale sera quant à elle partagée ; il recevra peu de soutiens des nations les plus démocratiques, soucieuses des droits des minorités et de la correction du débat public. Mais il recevra certainement sans réserves celui des Etats-Unis de Donald Trump et des régimes autoritaires soucieux de commercer avec le Brésil.
Seule la Justice, dans un pays où le nombre et l'opacité des procédures n'a pas d'équivalent, pourrait entraver sa marche, telle instance protégeant la constitution ignorée, telle autre les libertés publiques bafouées... avec le risque d'une politisation croissante des jugements, tendance déjà clairement à l'oeuvre.
On le voit, malgré la stupéfaction provoquée par l'arrivée au pouvoir d'un dirigeant classé à l'extrême droite au Brésil, Jair Bolsonaro disposera d'atouts et de soutiens non négligeables pour atteindre ses objectifs. Avec toujours, dans un contexte de nostalgie affichée de la période de dictature militaire (1964-1985) et de forte présence de militaires dans son entourage (à commencer par son vice-président, l'ancien général Hamilton Mourao, Jair Bolsonaro étant lui-même un ancien capitaine de l'armée de l'air) cette sourde menace, en cas de difficultés, d'une intervention de l'armée et d'une confiscation du pouvoir par les hommes en uniforme...